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«Nous devons adopter une vision plus globale de la biodiversité.»

À l’occasion de la Journée internationale de la diversité biologique le 22 mai, la professeure Catherine Graham et le professeur Florian Altermatt expliquaient lors d'un entretien pourquoi il est important que la recherche sur la biodiversité regarde au-delà des frontières systémiques. Ils dirigent la nouvelle initiative de recherche « Blue Green Biodiversity » du WSL et de l'Eawag. Florian Altermatt est également président du Forum Biodiversité Suisse.

Florian Altermatt
Image : Raoul Schaffner, Eawag

Cette année, le thème de la Journée internationale de la diversité biologique (IDB) sera : « Nos solutions se trouvent dans la nature ». Comment l’interprétez-vous ?

CG : ce thème attire l’attention sur le fait que bien des produits nécessaires à notre existence proviennent de la nature, par exemple l’eau potable, la nourriture ou les médicaments. Cependant, la nature ne peut fournir ces produits que s’il existe une grande variété d’espèces. Imaginez une entreprise composée uniquement de cadres supérieurs. Cela ne fonctionnerait pas. Une entreprise a besoin de toutes sortes d’individus possédant différentes compétences. Il en va de même pour la biodiversité : la nature fonctionne uniquement parce qu'il existe de nombreuses espèces, et que chacune d'entre elles a des qualités différentes. Ce n’est qu’ainsi qu’elle peut fournir aux humains tout ce dont ils ont besoin.

FA : notre bien-être dépend vraiment de la nature et d’une riche diversité d’espèces. Nous devons comprendre que l’humanité n’est pas séparée de la nature mais que nous faisons partie intégrante de cette dernière. Les écosystèmes qui fonctionnent bien reposent sur une grande diversité d’espèces afin de nous approvisionner en oxygène, en eau potable, en nourriture et autres prestations, ainsi que des biens immatériels, par exemple le bonheur de se promener dans des paysages variés. Nous devons donc apprendre à gérer ou à protéger la nature de manière à préserver la biodiversité et les avantages qu’elle nous offre.

Pourquoi la perte de biodiversité est-elle dangereuse pour nous ?

FA : une diversité d’espèces élevée constitue un vaste champ de possibilités et de potentiels encore inconnus. Par exemple, la diversité génétique des plantes peut être utilisée pour mettre au point de nouvelles cultures résistantes ou des médicaments efficaces. Si le choix s'amenuise, les possibilités diminuent d’autant. Si la biodiversité disparaît, nous perdons en quelque sorte une assurance. Et une fois qu’elle aura disparu, ce sera irrévocable.

CG : les insectes illustrent parfaitement pourquoi nous avons besoin d’une diversité d’espèces. Dans de nombreux systèmes, nous dépendons des abeilles mellifères pour polliniser nos cultures. S'il arrive quelque chose aux abeilles mellifères, elles peuvent difficilement être remplacées. Les abeilles sauvages indigènes et les autres insectes ne peuvent guère constituer des populations viables dans les zones de cultures intensives. Il n’y a donc pas d’autres espèces d’insectes capables d’assurer cet immense service qu’est la pollinisation. C’est pourquoi il est essentiel de maintenir la diversité des espèces d’insectes.

FA : par ailleurs, la biodiversité stabilise les écosystèmes et contribue à leur résilience, ce qui est particulièrement important dans le contexte du changement climatique. Les écosystèmes doivent s’adapter aux nouvelles conditions. Une grande diversité d’espèces ou une diversité génétique élevée permettent aux écosystèmes de mieux supporter ce changement. C’est à cette condition que ces écosystèmes pourront nous fournir les prestations que Catherine a mentionnées précédemment.

Pourquoi la biodiversité est-elle menacée ?

FA : il y a plusieurs raisons à cela. La destruction des habitats en raison de l’exploitation intensive des terres, pour l’agriculture ou l’urbanisation, ainsi que l’usage non durable des ressources naturelles, font partie des principaux facteurs qui menacent la biodiversité. La pollution, particulièrement la pollution chimique, réduit également la diversité des espèces. L’exploitation directe d'organismes, par exemple par la surpêche, ainsi que les espèces exotiques et le changement climatique ont un impact négatif sur la biodiversité.

CG : la plupart des menaces qui pèsent sur la biodiversité sont bien connus. Toutefois, nous ne savons pas précisément quelles espèces sont touchées ou comment la disparition d’une espèce affecte d’autres espèces. Les interactions entre espèces sont importantes mais complexes, ce qui rend de telles prédictions difficiles. C’est pourquoi il est difficile de maintenir la diversité biologique.

Qu’en est-il de la biodiversité en Suisse ?

FA : la situation est comparable à celles des tendances observées dans le monde: l’intensification de l’exploitation des terres pour l’agriculture, l’urbanisation et l’expansion des infrastructures, par exemple pour les transports, a fortement altéré les écosystèmes naturels et contribué à la perte de biodiversité, plus particulièrement depuis les années 1950. À moyen terme, le changement climatique s'intensifiera en raison de la topographie montagneuse de notre pays. Les organismes habitués aux climats froids devront déplacer leur aire de répartition vers des altitudes plus élevées mais n’y trouveront alors peut-être à un certain moment plus d’habitats qui leur conviennent.

Vous dirigez ensemble la nouvelle initiative de recherche « Biodiversité bleue verte ». Pourquoi « bleue verte » ?

CG : Elle s’appelle «bleue verte» parce que nous étudierons les systèmes aquatiques et terrestres en parallèle. Jusqu’à présent, les scientifiques ont plutôt eu tendance à se consacrer à un écosystème spécifique. Les systèmes sont cependant interconnectés. Par exemple, de nombreux insectes passent d’abord une partie de leur vie sous l’eau avant un stade de vie terrestre. Ces insectes sont une source de nutrition importante pour les oiseaux parce qu’ils sont riches en acides gras. Or, ces connexions ne sont généralement pas étudiées. Il est pourtant tout aussi très important d’appréhender plusieurs systèmes afin d'en apprendre d'avantage sur les principes fondamentaux, par exemple la résilience. Si un écosystème subit une perturbation, combien de temps lui faudra-t-il pour retrouver son état originel ? Lorsque des spécialistes des écosystèmes terrestres et des écosystèmes aquatiques étudient un même principe simultanément dans ces deux systèmes et en utilisant une méthodologie similaire, nous comprenons mieux les mécanismes sous-jacents.

FA : je suis d’accord avec Catherine. Se focaliser uniquement sur les habitats aquatiques ou terrestres, comme c’était souvent le cas par le passé, empêche de comprendre le système dans sa globalité. Nous devons étudier la diversité biologique de manière plus globale de façon à ne pas passer à côté d’importantes dépendances et réactions en cascade. Par exemple, les pratiques agricoles peuvent avoir de très graves conséquences sur la qualité de l’eau et la biodiversité aquatique. Par conséquent, les écologues spécialistes des milieux terrestres et aquatiques doivent faire équipe pour étudier la dynamique commune aux écosystèmes.

L’initiative a débuté il y a deux mois. Quelle seront les premières étapes cette année ?

CG : pendant la première étape, les scientifiques des deux disciplines ont identifié les principales questions à l’interface entre les systèmes terrestres et aquatiques. Nous disposons aujourd’hui d'une série de propositions de recherche provenant de nombreux groupes interdisciplinaires. Nous mènerons une évaluation indépendante afin de décider quelles idées ont le plus fort potentiel pour répondre aux questions critiques, en termes de science, de mise en œuvre pratique et de bénéfices pour la société. La première année sera consacrée à mettre au point près de dix projets d’une durée d’un an. C’est un objectif très ambitieux.

Et quels sont les objectifs principaux pour les quatre ans à venir?

FA : nous souhaitons mettre en place des projets de recherche pertinents et y associer aux plans national et international d’autres scientifiques spécialistes de la biodiversité. Nous désirons aussi motiver et inspirer une nouvelle génération de chercheuses et de chercheurs, par exemple parmi les doctorants. Cependant, nous ne voulons pas seulement faire avancer la recherche fondamentale sur la biodiversité, mais aussi élaborer des recommandations pratiques pour les différents groupes d'intérêt. L’objectif est d’assurer que les résultats puissent être mis en œuvre le plus rapidement possible. L’alliance de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée, et la capacité à répondre aux besoins actuels de la société, telle que la crise de la biodiversité, font partie des atouts de l’Eawag et du WSL.

Que peuvent faire la société et les individus pour lutter contre la crise de la biodiversité ?

FA : nous devons réduire notre consommation et utiliser nos ressources de manière plus durable. Avec notre mode de vie, nous consommons actuellement plus de ressources que les écosystèmes naturels sont capables d'en produire à long terme. Nous vivons essentiellement aux dépens des générations futures. Il faut que cela change.

CG : il est aussi très important que nous soyons connectés à la nature. Quand nous passons à côté d’un pré et que nous admirons les fleurs et les insectes, nous réalisons à quel point la diversité biologique est belle. Cette beauté nous motive à préserver la nature et à prendre des décisions pour maintenir la biodiversité.

FA : nous devons dissocier notre bonheur et notre bien-être de l’augmentation de la consommation et de la croissance économique. C’est certainement un défi de changer notre mode de vie mais nous ne pouvons pas continuer à vivre à long terme comme nous l’avons fait au cours des dernières décennies.

Créée par Bärbel Zierl

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